Salon, Attente et rencontre

Alors que les douze coups de midi sonnaient à toutes les pendules du palais, un serviteur vint chercher Matthias dans la chambre qu'on lui avait attribué pour sa convalescence. Il frappa trois coups brefs à la porte et après qu'on l'eut autorisé à entrer, il délivra son message.

"Seigneur Matthias, la Princesse Florimel m'a demandé de venir vous chercher et de vous emmener dans l'un des nombreux petits salons du palais ou le roi viendra vous voir dès qu'il en aura terminé avec l'affaire pressante qui l'occupe. Si vous voulez bien me suivre."

Le vieil homme sortit et te guida dans le dédale de couloirs et d'escaliers que formait le palais. Votre point de chute fut un petit salon tout ce qu'il y'a de plus charmant. Il n'y avait personne. Une baie vitrée donnait sur la ville en contrebas. La pièce était composée de plusieurs canapés ainsi que d'une vitrine recelant bon nombre d'objets pour le moins étranges venus d'Ombre, et d'une petite bibliothèque sur laquelle s'étalaient trois rangées de bouquins poussiéreux. Apparement, ils n'avaient pas du être sortis de là depuis un moment.

De son côté, Kernos, qui avait décidé de partir seul à la recherche de Random sans attendre qu'on vienne le chercher, ne tarda pas à se perdre. Toutefois, il eut la chance de tomber par hasard sur le serviteur qu'on avait envoyé pour le prévenir. Celui-ci le mena au même endroit que Matthias, et lui fit à peu près le même discours en chemin que celui qu'on avait donné à son cousin. Ce dernier se trouvait d'ailleurs à ce moment là déjà dans la salle. Pas le temps de poser une question au majordome qu'il avait disparu. Très bien. De toute évidence, ils allaient devoir attendre l'arrivée de Random tous les deux. D'ailleurs pourquoi l'un et l'autre étaient ils là ? Autant ne pas gacher ce temps et en profiter pour faire connaissance, non ?

[Mon travail s'arrête ici pour le moment : Matthias et Kernos, la balle est dans votre camp, amusez vous bien !]

Kernos entra dans le salon que lui avait indiqué le majordome, la pièce n'était pas vide, un homme de forte stature et aux cheveux auburn se tenait face à lui.

*Je n'ai jamais rencontré cet homme auparavant. Je me demande qui ça peut bien être...Je dois absolument parler au roi et on m'envoie dans un salon avec un illustre inconnu...*

Il continua de dévisager l'homme en face de lui. Soudain, il sentit comme une pointe lui vrillant le cerveau. Une nouvelle crise de vertiges le força à prendre appui sur le mur, il ne voulait pas se donner en spectacle devant un inconnu mais, la fatigue psychique résultant de son aventure dans la grotte lui imposa ce mouvement de faiblesse.
Kernos était épuisé mentalement, l'effort qu'il avait fourni pour fuir avec Julian et Kryther n'avait pas été sans conséquences. Il décida qu'il fallait mieux avoir l'air d'un malade que de souffrir inutilement pour préserver sa fierté d'Ambrien. Il s'avança alors vers le centre de la pièce, essayant de ne pas s'écrouler en chemin, pour se poser dans un des fauteuils, très confortables en passant, face à la baie vitrée.

"Bien le bonjour messire.
Je crois que nous n'avons jamais eu le plaisir de nous rencontrer avant aujourd'hui.
Puis-je savoir à qui ai-je l'honneur?"

Kernos avait préféré faire une entrée en matière plus courtoise, il ne savait pas qui était l'inconnu mais, le fait qu'il se trouve ici, probablement pour une audience avec le roi, lui avait inspiré l'idée qu'il devait être un personnage d'importance. Afin d'éviter tout malentendu, il s'était montré cordial, malgré son piteux état, mais il était intrigué et refusait de commencer les présentation...Après tout, il été prince d'Ambre et rien que pour cela, il avait plus d'importance que la plupart des créatures de l'univers.

Kernos serra la main tendue. Il regarda son visage plus en détail...C'est vrai qu'il y avait un air de famille, les yeux avaient la même forme, le dessin du nez et de la bouche était fort ressemblant.

*Je me demande duquel de mes parents il est l'enfant, en tout cas il a l'air bien sympathique*

"Excuses-moi, cousin, il y a tellement longtemps que je n'ai pas mis les pieds au palais, sans compté que je ne me suis pas vraiment intéressé à la généalogie alambiquée de notre "petite" famille, que j'ignorais la présence d'un nouveau parent.
Je me nomme Kernos. Je viens juste d'arrivé (*avec fracas*), alors ne t'étonnes pas de mon apparence, je sort d'une petite mésaventure... "

Il sourit à Matthias puis réalisa quelque chose qu'il avait légèrement sauté.

"Garde du palais? Plutôt original comme début de carrière pour un membre de la famille..."

Il chercha des yeux de quoi se rafraichir, il venait de réaliser qu'il n'avait ni manger ni bu depuis qu'il avait quitté son campement en Arden, et la faim commençait à se faire sentir. Il se leva, avec quelques difficultés, et marcha jusqu'à une armoire en bois verni, richement décorée en passant, de laquelle il sortit deux verres à pied et une bouteille de vin.
Il posa les deux verres sur la table qui se trouvait entre son fauteuil et un autre. Il dépoussiéra l'étiquette de la bouteille.

*Un rouge de Bayle! J'ai de la chance, une bonne année en plus, c'est juste ce qu'il me fallait.*

Il fit sauter le bouchon et versa le liquide dont la couleur et l'épaisseur rappelaient celles du sang. Il reposa la bouteille et invita d'un geste de la main droite (son épaule gauche était encore douloureuse ) son cousin à s'installer sur le siège vide en face de lui.

"Je me demande bien ce qui t'as poussé dans cette voie."

Kernos porta le verre à ses lèvres et le vida d'un très, il avait besoin d'un petit remontant après tout ce qui lui était arrivé en quelques jours. Il se servit un autre verre qu'il bu plus lentement afin d'en savourer l'arôme.

Kernos remercie Matthias et boit une nouvelle gorgée.

*Apparemment, il n'est pas familier de la Cour. En même temps, un garde ne rencontre pas souvent tout le gratin d'Ambre, surtout si on ignore sa position dans la famille... Je ne sais pas si je suis la personne idéale pour le renseigner sur notre famille vu mon manque de lien avec les mondanités du palais mais bon, je peux toujours lui apprendre ce que je sais...Cela nous occupera en attendant Random.*

" Alors je vais avoir le privilège de te faire un résumé sur notre famille. Déjà ne t'embarrasses pas du protocole avec moi, je n'en ai cure, je n'ai pas été élevé ici...Pas de vouvoiement ni de révérences avec moi, je n'ai pas l'habitude et ça me fait rire plutôt qu'autre chose. Mais ce n'est pas le cas de tous nos parents . Kernos se mit à rire dans sa barbe.
Certains de nos "illustres" parents s'offusqueraient pour un manquement à la bienséance et aux bonnes moeurs qu'exigent notre position dans le grand monde. Mais passons...

Je suppose que tu connais, au moins de vue ou de réputation, notre oncle Random, le chef de famille et roi d'Ambre. Je ne le connais pas vraiment. Durant les deux ans où j'ai habité le palais, il était très occupé et j'ai toujours préféré la chasse et les divertissements plus populaires que les affaires d'Etat et les réceptions officielles. J'ai du lui parler de manière très brèves environ une dizaine de fois, et surtout pour des banalités, quand je le croisais par hasard dans les couloirs ou les cuisines, ou bien dans les quelques repas où ma présence était obligatoire. Il est cependant sympathique, selon mes souvenirs, mais assez soucieux depuis quelques temps...On m'a raconté qu'il était plutôt cavaleur et fêtard dans sa jeunesse, le fils prodigue, le "petit dernier", mais que depuis sa montée sur le trône il avait changé, qu'il était devenu plus avisé et plus responsable. Moi, je l'ai toujours considéré comme un souverain plutôt qu'un oncle.

Kernos reprit une gorgée de vin et s'appuya d'avantage sur le dossier de son fauteuil.

"Evites d'en faire trop avec lui, il n'est pas très porté sur les "altesse", les "monseigneur" avec les membres de la famille, montre toi protocolaire au début, il te dira lui-même d'arrêter.

Sinon tu as des questions sur d'autres membres de la famille? Je t'ai parlé de Random parce que nous allons bientôt le rencontrer mais si tu t'intéresses à un de nos oncles ou à une de nos tantes en particulier, je peux essayer de répondre à tes interrogations."

Kernos faillit s'étouffer en écoutant Matthias.

*La ressemblance pourrait venir de là... Il y aurait une possibilité qu'il soit...*

Kernos se pencha en avant pour détailler encore plus le visage de son interlocuteur. La corpulence et la forme du visage rappelaient Bleys, Brand également (Kernos se souvenait d'un portrait qui avait disparu à présent, son visage était représenté sur des vieux jeux d'Atouts, mais la plupart des représentations du fils dément d'Obéron avaient été soigneusement retirées du palais), mais ses yeux étaient verts, comme ceux de Fiona et de Brand. Enfin ses cheveux tiraient sur le roux, et seuls ces trois là possédaient une chevelure couleur de feu parmi les enfants d'Obéron.
Kernos se relaissa tomber dans son fauteuil, plongé dans ses pensées.

*Il tient aussi bien de l'un que de l'autre, la seule certitude c'est qu'il est issu d'un des enfants de Clarissa...Lequel? C'est plus dur à dire, il ressemble aux deux...*

Kernos vida son verre pour éclaircir sa gorge. Il le posa sur la table et croisa les mains devant son visage.

"Commençons par Fiona. Tu as de la chance, je la connais mieux que Random. J'ai eu l'occasion de diner plusieurs fois avec elle et elle fait partie des parents que je préfère.

Elle est rousse, tu le sais déjà, ses yeux sont verts et étincelants, rien n'échappe à son regard perçant et il est encore plus difficile de percer ses pensées que de lui dissimuler quelque chose. Elle est de taille moyenne pour une femme, sa peau très pâle, ce qui fait ressortir encore plus ses yeux...Je dirai que c'est une femme magnifique, à la fois charmante, pétillante et malicieuse. De plus, elle est de loin là plus intelligente et la plus mystérieuse des femmes que j'ai pu rencontrer au cour de ma vie, et je crois qu'il me faudrait plusieurs siècles avant dans trouver une qui puisse l'égaler, à part Florimel, mais ne t'avises jamais d'en faire la remarque devant elle... parce que sa vengeance serait terrible!
Elle est aussi cruelle qu'elle est belle et si j'étais toi, je ne fierais pas à son apparence car c'est une sorcière terrifiante, peut être la plus puissante de la famille...Mieux vaut ne pas lui chercher d'ennui car c'est un coup à mourir dans d'atroces souffrances.

Si tu l'as rencontre, montre toi très courtois et prévenant avec elle, elle apprécie les gens charmants mais évite de passer pour un niai devant elle...Elle peut être particulièrement horripilante si elle te prend pour un imbécile et elle n'arrêtera pas de se moquer de toi. Sinon, c'est quelqu'un de très agréable tant que tu ne dépasse pas ses limites de tolérance.
Un autre conseil: ne te mêles jamais de ses affaires si elle ne te le demande pas. Elle peut être d'un grand secours en ce qui concerne la magie ou les pouvoirs de la Marelle, et elle n'hésitera pas à te donner de précieux conseils, mais ne la contredis jamais sans arguments valables, et même dans ce cas, ne te disputes pas avec elle."

Kernos remplit son verre et celui de Matthias. Il avait besoin de reprendre son souffle.

Kernos répondit au geste de Matthias en l'imitant.

"Ce n'est pas grand chose, il est normal de vouloir connaitre ses origines. Quand à ce qui m'amène ici, c'est plus le hasard, voir une nécessité, plutôt que ma volonté propre.
En prononçant ces mots, il repensa à son arrivée fracassante et se retint d'éclater de rire.
Enfin, tu verras de quoi il en retourne quand Random sera là.
Et puis parler de la famille permet de passer le temps, tu as d'autres questions? Je m'aperçois que je ne t'ai pas parler des deux frères de sang de Fiona, les deux autres roux de la famille, Bleys et Brand, veux-tu en savoir plus à leur sujet? "

Kernos éclata de rire, il regretta aussitôt car il eut une nouvelle crise de vertige. Il reprit ses esprits et se redressa.

*Maudit Jurt!...Si je te met la main dessus...*

Il but une nouvelle gorgée de Bayle.

"Oui, l'ancien roi avait bon goût et savait s'amuser, un trait de caractère que la plupart de ses descendants semble partager... La légèreté des moeurs semble la caractéristique commune de notre famille.
Pour Florimel, le lien de parenté n'est pas direct, la couleur de mes cheveux vient de ma mère, Aoifa, une Ombrienne, et la couleur de mes yeux, c'est à mon père que je la dois... Bleys, Eric et Florimel ont les mêmes yeux, bleus.

Mon père est Bleys, le frère de Flora et de Brand... Je n'ai pas grand chose à te dire sur lui, je ne l'ai connu qu'à l'âge de 18 ans, et je n'ai passé que 2 ans avec lui, enfin on se voyait épisodiquement, il a toujours eu la bougotte, encore maintenant je ne sais même pas s'il est présent au palais... Tout ce que je sais de lui, c'est qu'il est brillant, doué, et même très doué dans tout ce qu'il entreprend. Il est très charmant, je le trouve parfois un peu trop mondain, mais c'est son côté séducteur, il aime plaire aux gens et se donner en spectacle...Orgueilleux, fier, un vrai prince d'Ambre... Oui...Un prince d'Ambre, aussi rusé et mystérieux que ses frères et soeurs... Il lui arrive de disparaitre sans prévenir pendant des mois avant de refaire surface avec éclat quand on s'y attend le moins.
Un conseil: réfléchis toujours avant de te confier à lui ou de l'écouter, il aura toujours tendance à se servir de toi, à t'emmener là où est son intérêt...Il est habile aussi bien en parole qu'à l'épée, alors ne cherche pas à le défier, il se ferait à malin plaisir à te ridiculiser.
En dehors de ça, c'est un excellent partenaire de beuverie, et quelqu'un d'agréable à écouter lors des diners ennuyeux de la Cour...Montres toi poli avec lui et tout se passera bien, il à le sens du contact et il est très avenant de nature."

Kernos resta silencieux quelques instants. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas parlé de son père. Cette atmosphère le rendait nostalgique, le palais, une bouteille de vin rouge de Bayle, la vue sur la cité, parler de la famille... Il se rendait compte que cela lui avait manqué quelque part. Même s'il n'était pas resté longtemps ici, il s'était attaché à cet endroit, comme si son sang le destinait à cet vie...Il avait passé un an à voyager à travers les Ombres avant de revenir sur ses pas. Il avait même hésité pendant plusieurs à rentrer alors qu'il était en Arden, si proche du palais. Mais maintenant qu'il était là, installé dans ce petit salon, avec un cousin, attendant le roi Random, il s'y sentait comme chez lui.

"Revenons à la famille. Brand, le dernier des enfants de Clarissa (c'est ainsi que se nommait la femme d'Obéron qui donna naissance aux rouquins), est en effet peu apprécier...Et c'est un euphémisme, toutes les images le représentant ont été retirées du palais. Il faut comprendre qu'il menaça de détruire Ambre, la Marelle et l'univers tout entier, et qu'il y parvint presque...On a du mal à aimer les déments de son envergure. Enfin, il est mort durant la guerre de la Marelle, tué par notre oncle Caine, avec l'aide de Fiona, Random et d'un autre de nos oncles, Corwin. Il n'est plus qu'un mauvais souvenir.

Un autre verre?"dit-il en allant chercher une autre bouteille dans l'armoire.

Kernos sembla légèrement déçu de la réponse de Matthias, il préférait boire avec quelqu'un que tout seul. Il ferma l'armoire et s'avança jusqu'au bureau qui trônait devant la baie vitrée. Il ouvrit plusieurs tiroirs avant de trouver ce qu'il cherchait. Il en sortit un étui de cigarettes, sans doute oublier par un de ses oncles, et un cendrier en métal, orné d'une licorne tournée vers la dextre. Il posa tout son attirail sur le bureau et alluma une cigarette. Il tira deux bouffées avant de reprendre la parole.

" Il est vrai que tante Florimel est très à cheval sur l'étiquette, c'est elle qui en charge, le plus souvent, d'organiser les réceptions officielles... Une Dame de sa classe et de sa beauté supporte très mal la vulgarité et le manque de tenue. Enfin, tu as raison, il serait peu convenable d'accueillir le roi dans état d'ébriété avancée. En plus, je meurs de faim, je n'ai pas manger depuis une journée et j'ai besoin de reprendre des forces, pas d'en perdre.

*Bien qu'un petit verre de plus n'aurait pas été de trop pour annoncer mes nouvelles*

Cigarette?Il lui tendit le pacquet.

Pour ce qui est de Corwin, je n'ai rien contre lui. J'ai même toujours voulu le rencontrer depuis que mon père ma parlé de lui. Il l'estime beaucoup...Enfin, c'est ce que j'ai cru comprendre. Hélas, je n'ai jamais eu le loisir de le voir au palais. Les seules images que j'ai de lui sont celle des portraits le représentant, sur les tableaux du palais, sur les Atouts, ou bien celles des récits que l'on m'a fait de lui...Un homme mystérieux également, toujours en déplacement dans des lieux inconnus, je comprend pourquoi mon père l'apprécie, ils se ressemblent.

Kernos continua de fumer et se dirigea vers la baie vitrée, admirant le soleil qui illuminait les toits de la ville, se déversant comme une cascade dorée au milieu des cours et des rues pavées de la cité d'Ambre. Il plongea ses yeux dans le lointain, observant les bateaux qui stationnaient dans le port, sur la mer d'un azur profond s'étendant jusqu'à l'horizon.

"Volontier"

Matthias pioche dans le paquet de Kernos une cigarette. De l'ombre d'ou il venait les seuls à pratiquer cet étrange rituel était les Batranoban et leur narguilé. Il allume la cigarette imitant en cela Kernos, le goût n'était pas des plus plaisant, il l'éteint assez rapidement.

"Je crains de ne pas être très familier encore à l'âcritude de cet épice. Sans doute cela requiert-il plus de temps pour l'apprécier, en tout cas l'orfèvre qui a réalisé ce motif est assurément un grand artiste."

Il tourne le boitier entre ses mains avant de le replacer là ou était sa place antéreure, puis se met en quête de l'heure, presque une heure et demi indique une horloge biscornues : montée sur trois pieds, lesquels ne sont pas sans rappelés les pattes de quelques créatures grotesques et chimériques, le corps forme un triangle et les bas reliefs forment comme un dessin, un paysage lunaire. Il passe les doigts dessus, admire le grain du bois et la finition parfaite.

Puis silencieux inspecte le salon, cherchant derrière la bibliothèque, quelques ouvrages aptent à lui ouvrir l'appétit et laissant son compagnon à sa méditation.

Kernos émergea de sa contemplation rêveuses en apercevant quatre silhouettes s'agiter dans la cour du palais, elles se distinguaient du reste par leurs couleurs, différentes de celles des uniformes des gardes.

*Sans doute des officiels*

Il se détourna de la baie pour écraser son mégot dans le cendrier. Matthias semblait absorbé par la contemplation des ouvrages poussiéreux de la bibliothèque. Kernos commençait à tourner en rond.

*Mais que fait le roi? Cela fait plus d'une heure que nous attendons et toujours rien...Il ne se demande même pas qu'elle importance pourrait avoir mes informations, Ambre est menacée et il ne s'en rend pas compte?
Julian a quand même était enlevé et torturé, il ne doit pas encore être remis de ses blessures...D'ailleurs comment va-t-il? Et Kryther? Je ne peux plus attendre d'avantage, nous perdons du temps pour rien...*

Kernos était passablement agité, l'alcool l'avait ragaillardi et le stress de ses dernières aventures commençait à monter à la surface. Il se dirigea d'un pas décidé vers la porte du couloir.

"Je vais voir si le roi est disposé à nous rejoindre ou si nous devons encore attendre quelques heures de plus. Dans ce cas, je demanderai que l'on nous apporte de quoi manger pour patienter."

Kernos hocha de la tête et se rassit dans un des fauteuils.

"Cela me fait penser que je ne t'ai pas encore demander pourquoi du doit rencontrer notre oncle royal...Est-ce indiscret de te le demander ou bien cela ne te dérange pas que je te pose cette question?

Je ne le prendrai pas mal si tu ne veux pas me le dire...Une des principales occupations familiales est de garder des secrets, alors cela ne me dérangerait pas si tu éludais cette question...Bien que je ne te cache pas mon intérêt pour ce que tu pourrais me révéler, de plus, je ne suis pas du genre à colporter les ragots, ni à dévoiler les conversations privées.

Enfin, c'est à toi de décider... "

Il s'interrompit quand on frappa à la porte. Le serviteur de tout à l'heure, un petit homme ventru d'environ 50 ans, avec une calvitie sur le sommet du crâne, entra dans la pièce, accompagné de deux jeunes domestiques qui portaient une table ronde en bois, et trois servantes qui transportaient des plateaux chargés de victuailles: viande rouge fumante, accompagnée de pommes de terres et de haricots, une terrine, une belle miche de pain, du fromage et une corbeille de fruits. Un jeune serviteur entra après eux pour apporter une carafe d'eau et une bouteille de vin rouge, de quoi de faire un bon repas pour trois personnes.
Les domestiques organisèrent la table et se retirèrent en s'inclinant bien bas.

Kernos approcha son siège de la table et fit un ample mouvement de la main en désignant la nourriture.

"Eh bien, à table mon cousin! Le roi comprendra très bien que nous l'ayons point attendu pour nous sustenter...Quand à moi, je meure de faim et je préfère parler le ventre plein...Bon appétit! "

Kernos se servit trois épaisses tranches de viandes et piqua sa fourchette dans une grosse pomme de terre bien chaude.

Kernos but une gorgée d'eau pour faire passer le vin de toute à l'heure et posa ses couverts sur la table. Il croisa les mains devant son visage, appuyant ses coudes sur la nappe et regarda attentivement son cousin.

*Si Random l'a convoqué en même temps que moi je peux bien lui faire un résumé de la situation.*

Il se laissa tomber sur le dossier du fauteuil.

"Eh bien, c'est les circonstances qui m'ont ramené ici. J'ai du modifier mes plans et rentrer au palais à cause d'une affaire urgente et plutôt mouvementée. C'est sur ces remous que le roi, je suppose, veux m'interroger.
Voilà ce qui pourrait résumer la raison de ma présence en ces murs... Mais tu en seras plus qu'en Random arrivera, je n'aime pas me répéter alors autant profiter d'un rapport complet en compagnie de son altesse."

Il leva son verre pour porter un toast et vida son contenu.

Kernos accepta volontiers la proposition de Matthias et porta sa coupe à ses lèvres pour déguster le délicieux breuvage. Manger le soulageait, il avait l'impression de renaître, reprenant des forces grâce à la bonne chair et au repos que lui accordait ce cadre confortable, en compagnie d'un personnage agréable qui pourrait bien être son frère, à défaut son cousin germain.

Son crâne le faisait beaucoup moins souffrir que tout à l'heure, sans doute l’usage médicinal du vin, et il sentait que les risques de vertige diminuaient de plus en plus. Il ne s'était pas inquiété outre mesure, il savait que les membres de sa famille guérissaient très rapidement et se remettaient de blessures qui seraient fatales pour la plupart des hommes.

Après s'être occupé de vider quatre assiettes pleines de viande et de légumes, qui auraient suffi à nourrir deux hommes bien constitués, Kernos décida de s'attaquer au fromage.

*Random n'est toujours pas là et nous allons arriver au dessert... Il doit être surchargé de travail... Mais ce que j'ai à dire est très important, peut être capital pour la famille et pour Ambre, je pense que Random le sait alors pourquoi nous fait-il patienter? Peut-être que quelque chose d'encore plus important se trame...*

Kernos découpa une tranche de pain pour accompagner son fromage et se resservit un verre de vin.

"Je te remercie pour ta délicate attention, mais j'ai dormi suffisamment pour aujourd'hui.

Et pas de protocole avec moi, appelles-moi Kernos. Je ne suis pas habitué à me faire vouvoyer et à le faire pour les autres... Sauf exception.

Dans l'ombre où j'ai grandi et où j'ai passé la grande majorité de ma vie, il n'y a pas de niveaux différents de conversation selon son interlocuteur, qu'il soit roi ou mendiant, d'ailleurs ces deux statuts n'existent pas chez moi, on tutoie tout le monde...La seule différence, c'est le vocabulaire."

Kernos engloutit son morceau fromage et prit une grappe de raisin blanc dans la coupe de fruit.