L'audience du prince Vald L'Empaleur

Une ombre impénétrable, à la silhouette vaguement humaine, glisse silencieusement le long du monumental et sombre hall qui mène au trône d’Onyx. Elle se déplace en ligne droite et ne fait aucun cas des titanesques et innombrables colonnes de marbre noir, dans les veines duquel coule un sang vermeil ou des formes mouvantes de la cour impériale qui s’agite, s’ébroue et tourbillonne dans les ténèbres de la salle du trône.

Un silence singulier règne dans le saint des saints de l’Empire du Chaos, comme dans l’antichambre d’un cauchemar inéluctable. Au fond de la salle, sur le grand dais taillé dans un bloc de lave noire polie, dans les reflets duquel nagent et s’entretuent des choses innommables, est assis, dans le trône aux arabesques animées finement ciselées dans un verre noir opaque, l’imposante silhouette du roi-empereur des Cours, Merlin du Chaos.

La brume ténébreuse, indistinctement humanoïde, fondue dans les ombres de la pièce, s’arrête au pied du monarque absolu des mondes du Désordre et semblent faire une révérence selon un angle impossible puis elle attend le bon vouloir de son suzerain.

Le prince Vladimir Bessarab Dracula dit « Vlad l’Empaleur » fut l’un des champions trahis et vaincus de La Guerre de La Marelle contre le Royaume d’Ambre. Des seigneurs du Chaos, c’est l’un des plus fervents opposants à la paix relative qui règne entre les deux pôles de l’Univers. Une nouvelle fois il se présente devant le roi-empereur Merlin pour plaider la cause d’une guerre ouverte avec les enfants d’Obéron. Ils sont nombreux à partager son point de vue mais il est le seul à ne pas craindre d’exprimer haut et fort ses revendications devant le fils de Corwyn d’Ambre, quoiqu’il lui en coûte. Jusque là ces arguments sont restés lettres mortes mais aujourd’hui il se présente avec de nouvelles cartes dans son jeu.

Merlin regarde d'un air impassible la silhouette noire qui se présente à lui.
Vladimir Bessarab Dracula.
Une visite déplaisante au possible... mais hélas inévitable.

Celui qu'on appelait désormais ouvertement Vlad l'Empaleur était parti de rien.
Non, rectifia mentalement Merlin, qui connaissait le traitement infligé aux prisonniers des Barrimen, il était parti de moins que rien.
Et pourtant... aujourd'hui, il était un Seigneur du Chaos, et s'il ne faisait pas franchement partie des plus honorables, ni des plus respectés, il faisait indubitablement partie des plus craints.

A son grand regret, Merlin ne pouvait pas se permettre de lui refuser audience.
Les règles de ce jeu subtil qu'était la politique obligeaient le fils de Corwin a se plier à de multiples choses qu'il n'avait aucune envie de faire.
En cet instant, recevoir Vladimir Bessarab Dracula arrivait en tête de liste.

Merlin savait bien ce qui amenait Dracula devant lui.
Encore ces idées stupides de guerre contre Ambre... il poussa un soupir mental. Comment ce type pouvait-il espérer ne serait ce qu'une seule seconde que lui, Merlin, Fils de Corwin, demi ambrien et allié politique de Random puisse adhérer à ses propos ?

*Si ça ne tenait qu'à moi, ce fêlé irait prendre de longues vacances dans un Enfer personnel particulièrement atroce... ceux de Mandor, pourquoi pas ? J'ai entendu dire qu'ils étaient à la torture psychologique ce que la France est au fromage, c'est à dire la référence ultime en la matière.*

"Seigneur Dracula" dit-il simplement, d'une voix neutre

"Je me demande bien ce qui vous amène." poursuivit-il d'un ton aussi froid qu'ironique.

La brume sombre s’agite puis se remet à tourbillonner doucement devant l’Empereur-roi. Une voix plus sombre que les chants les plus funèbres des plaines du Tartare sifflent doucement des paroles dans un thari aux accents rudes des bas-enfers :

- Je viens voir le seigneur de ce coté-ci de l’Univers.

La silhouette indistincte fait mine de chercher avec des manières théâtrales :

- Où est-il ? Où est celui qui doit nous conduire vers des temps meilleurs ? Ses sujets souffrent dans les affres de mille tourments tandis que les seigneurs d’Ambre jouissent de tous les privilèges. Est-ce qu’il se cache...

L'ombre fait volte-face pour fixer Merlin :

- ... ou est-ce que vous le faîtes taire ? Comment justifiez-vous de votre présence sur ce trône fils de l’oppresseur Corwyn, petit-fils du traître Obéron, qui tout deux ont spolié les sujets des Cours de l'équilibre des âges anciens ? Que venez vous nous prendre encore ? Je viens voir le seigneur de ce coté-ci de l’Univers.

La brume roule sur elle-même. Aucun des mots coupants comme des rasoirs n’échappe à l’assemblée, captivée par tant d’audace et d’héroïsme mélés pour défendre une cause dans laquelle beaucoup se reconnaissent soudain.

Merlin qui finit sa conversation avec l'un de ses conseillers, daigne enfin prêter attention à l'arrivée du perturbateur.

" Votre ancienne gloire n'est plus Bessarab, vous avez échoué à un moment crucial de la bataille et sur nos terres en plus. Les ennemis d'hier qui sont nos amis d'aujourd'hui, n'ont eu que trois jours de préparation pour vaincre des armées prêtes depuis des siècles.

Quel serait l'intérêt pour nous de poursuivre un combat perdu d'avance et qui plus est, ne nous serait profitable sur aucun plan ? "

D'un discret signe de tête, il signifie à sa garde de se tenir prêt à intervenir.

" Les armées d'Ambre occupent elles une seule de nos Ombres ?

Le trône d'Onyx leur doit il encore des comptes à présent alors que nous avons détruit et attaqué leurs biens, poussant le conflit jusqu'au coeur d'Ambre même !

Et pour quelles raisons ?

Parce que je suis roi par le droit du sang, et que Random, le Seigneur d'Ambre est l'un de mes amis et alliés "

On devine chez Merlin une pointe d'agacement, et Vlad pourrait bien avoir tenter de pousser le roi dans ses derniers retranchements à un mauvais moment.

" Vous auriez pu consacrer votre rage à résoudre l'un des innombrables problèmes qui ennuie cette cour, mais vous avez préféré venir m'insulter devant mes gens, et cela ne peut être tolérer !

Puisque vous ignorez où se trouve votre place, je vais y mettre bon ordre !

Pour avoir commis un crime de lése-majesté, je vous relève immédiatement de tout vos titres et privilèges, vos terres seront confisquées et placées sous tutellle royale.

Mais cette sanction ne deviendra définitive qui si vous ne parvenez pas à défaire mon demi-frère Jurt dans le délai d'une semaine à compter de ce jour !

Vous vouliez vous battre, voilà d'excellentes raisons de le faire, disparaissez de ma vue à présent ! "

La sombre brume éthérée danse, volute et et s'enroule doucement sur elle-même dans un mouvement hypnotique devant le trône. Puis elle enfle comme une tempête soudaine jusqu'à atteindre une taille cyclopéenne, surplombant le trône d'Onyx et la forme humaine qui y est assise. La voix surnaturelle se raille du Roi-Empereur :

- Vous pensez sérieusement avoir le pouvoir de vos mots Merlin ? Nous avons été vaincu parce que des dirigeants corrompus nous ont trahis, mettant fin à une guerre que l'on ne nous a pas laissé livrer de peur que les seigneurs d'en bas la gagne. Mais depuis nous avons appris...

La chose immense devient terriblement menaçante :

- ... à désobéir.

La cour de l'Empereur-Roi s'agite spasmodiquement : une bataille frénétique explose entre les partisans de Vlad et les indécis. Les fidèles de Merlin se retranche autour du trône.
L'Ombre se retire comme une vague reflue après une marée dévastatrice :

- Vous savez maintenant que votre règne fantoche touche à sa fin. Dîtes en Ambre que La Guerre arrive.

Alors que l'ombre s'écoule vers les portes de la salles, un disque flamboyant apparaît devant elle et l'entoure en un éclair, sans que Vlad puisse rien faire pour l'en empêcher.

Il se retrouve piégé au milieu d'un cercle infranchissable de puissance. Hors de question pour lui d'aller désormais où que ce soit, même en s'aidant du Logrus; ses pouvoirs se voient instantanément réduits à néant par la chose qui l'encercle.

Quant a ses partisans, il ne faut que quelques minutes à la puissante Garde Noire pour les désarmer.

Vlad se rend compte que Merlin avait pressenti ce qui allait se produire, et avait agi en conséquence : les meilleurs et plus fidèles éléments de sa garde personnelle se trouvaient dans la salle.
Et son plus efficace artefact, la Roue Spectrale, se tenait prête à intervenir.

Merlin toise son adversaire vaincu depuis les hauteurs de son trône.

"Non seulement vous êtes fou, Bessarab...mais en plus de cela vous êtes stupide !
Comment avez vous pu croire une seule seconde que vous pourriez repartir de cette salle en un seul morceau et la tête haute après m'avoir tenu en tel discours ?!

Vous avez cru pouvoir rallier à votre cause mes détracteurs.
Mais sachez que le courage politique de ces derniers ne va guère au delà des chuchotements de couloirs."

A ces mots, la cour se met à bruisser de murmures. Beaucoups de nobles arborent un air particulièrement courroucé, blêmissant sous l'insulte... mais aucun d'entre eux n'élève la voix.
Même si un grand nombre partage les opinions de Vlad, aucun ne compte lever le petit doigt pour le soutenir publiquement, a fortiori maintenant qu'il est en position de faiblesse.

Un regard circulaire de Merlin à la ronde fait s'éteindre les murmures.
D'une voix forte, afin de capter intégralement l'attention de l'auditoire, il reprend:

"Je suis l'Empereur du Chaos, choisi par le Logrus lui même, mais un parvenu tel que vous ne semble pas saisir ce qu'un tel appui signifie. Je gouverne cette moitié de l'univers, non seulement par le droit du sang... mais également par la force.
Et cette cour va apprendre à s'en souvenir... à vos dépends !"

Vlad arbore un large sourire en observant les concrusactions nébuleuses de la Roue Spectrale danser tout autour de l'ombre convulsée du chaosien. Merlin est si prévisible et se croit tellement malin. Ainsi en va-t-il des hommes de pouvoir mais de peu de tête.

Le seigneur des ténèbres, dissimulé sous un ample manteau d'obscurité à large capuchon, tournent les talons, abandonnant son armée fantôme aux soldats lourds de La Garde Noir et sa doublure, un apprenti zélé, aux affres mortelles de l'artefact construit par le Roi-Empereur.
Vlad a ce qu'il voulait : autant de témoins qu'il en faut pour confondre le fantôche, propager la faiblesse de ses arguments et démontrer que le pouvoir de Merlin ne peut se rendre maître de son vassal. La cerise tient dans l'identité de son actuel captif : la fille de son plus cher vassal dans les Cours.

Avec habileté, Vlad Tepesh Dracula dit l'Empaleur jette les fils du Logrus en Ombre et se dissout dans le tissu entre les mondes pour faire porter la bonne nouvelle à son armée et ses alliés qui gonflent un raz-de-marée prêt à déferler sur l'Univers.

Alors que le véritable Vlad s'esquive hors de la salle en toute discrétion, Merlin prenant toute la salle à témoin, ordonne :

"Spectre, transfère ce rénégat dans mes geôles personnelles !"

Alors que la Roue Spectrale s'évanouit, emportant son captif, Merlin sort une carte de son paquet d'Atout.

"Cette affaire ne souffre aucune attente.
Les audiences sont terminées pour aujourd'hui.
Quand à ceux qui aspirent aux même ambitions que le seigneur Vlad, j'espère que le spectacle leur aura donné matière à réflexion." conclut-il avant de disparaître.

Quelques minutes plus tard, alors que Merlin marche à grands pas en direction des cellules, un petit cercle doré se matérialise au niveau de sa tête.

-P'pa ?

-Oui ?

-On a un problème avec le prisonnier.

-Lequel ?

-Ce n'est pas lui. Navré P'pa.

-QUOI ?!

Merlin prend le pas de course, suivi par Spectre.
Arrivé à la cellule, il voit à travers les grilles une jeune fille qui l'acceuille avec un éclat de rire triomphant.

"Tu peux rire, traîtresse ! s'exclame l'empereur, furieux.
Mais ton maître, lui, n'aura pas l'occasion de rire longtemps, je peux te l'assurer !"

-> Vania

Quelques heures plus tard, dans les appartements de Merlin.

Merlin venait d'achever la partie incantatoire du processus.
Avec l'aide de Spectre et de l'Aiguillier, il trouva l'endroit approprié, et ouvrit un passage pour la créature dont il avait besoin.

Cette dernière, attirée comme un papillon par la lumière, ne mit qu'un instant à le franchir.

Une forme indéfinie se matérialisa au centre de la Roue Spectrale, qui, posée au sol, délimitait un espace d'environ deux mètres de diamètre.
La créature se changa immédiatement en cerf, puis en jeune femme ailée, puis en un mélange de lion et de crocodile, avant de se stabiliser... sous la forme de Merlin lui même.

"Qu'attends-tu de moi, toi qui m'a invoqué ?"
demanda la créature

Les lèvres de Merlin dessinèrent un sourire victorieux.
"Que tu aille hanter l'un de mes ennemis !
Fonds toi en lui et fais en sorte que sa véritable apparence lui soit dérobée en permanence."

Merlin sentit l'esprit de la créature effleurer le sien.

"-S'agit-il...

Elle prit instantanément l'apparence de Vlad.

-... de cette personne ?

-Exactement. Tu sauras la trouver ?

-Je sais déjà où elle se trouve.
Que m'offre-tu en échange ?

-Que désire-tu ?"

L'image de Vlad se déforma, enfla, jusqu'à se transformer en un papillon géant, sur les ailes duquel, tel un écran de cinéma, défilaient des images.
Merlin les considéra avec attention.

"-Tu l'auras.

-Alors le pacte est scellé."

La créature s'enroula sur elle même et disparu.